Comme nous avons vu dans un précédent article (Lire Le goût et les cinq sens), la perception visuelle influence notre jugement : écœurement, dégoût, appétence, attirance. Grâce à elle nous anticipons le goût, nous discernons les saveurs. Par ailleurs, nous ne regardons pas seulement l'aliment seul, mais sa présentation, et son contenant.
C'est pourquoi le travail de l'apparence visuelle dans l'alimentation est si important. Dans la restauration, il commence dès la lecture du menu. Bien choisir le nom d'un plat est primordial, il induira une vision du plat dans l'imaginaire du goûteur. Qu'il soit énigmatique ou explicatif, il suscitera la gourmandise et séduira le mangeur. Puis vient la présentation du plat. L'aspect visuel de l'assiette induira l'envie – ou non – de la déguster.
Il en est de même pour l’environnement dans lequel il est présenté. Des chercheurs de l’université britannique d’Oxford ont publié une étude dans la revue scientifique Flavour en 20131, portant sur l’influence de l’emballage, du contenant, des couverts, etc, sur notre perception alimentaire, quelles que soient leur forme, leur couleur ou leur texture. Le packaging joue lui aussi un rôle, puisque c'est la première barrière entre le mets et le mangeur.
Dans La Raison gourmande2, Michel Onfray fait part de l'importance de la mise en scène et de la présentation du repas. Celui-ci est théâtralisé : les lumières et le décor sont travaillés et le goûteur est considéré comme un acteur. Ces dernières années, cette mise en scène de notre alimentation a pris de l'ampleur et s'est étendu à nos plats du quotidien. Une tendance s'est développée sur les réseaux sociaux, celle de prendre en photo son repas et de le partager aux internautes : le Food Porn ou foodographie. À l'origine, ce terme désignait les aliments esthétisés, « glamourisés », mais aujourd'hui il évoque plus globalement le fait de prendre en photo son plat, puis de le poster en ligne.
La présentation est aussi importante avant la dégustation. Le travail iconographique a un rôle de guide dans l'élaboration du plat. L'édition culinaire est un secteur en explosion depuis une dizaine d'années. Il existe de nombreuses revues de cuisine qu’elles soient de la presse féminines (Prima, Elle à table…), ou spécialisées (Gather, 180°,Yam…).
Le travail de présentation des plats varie selon la cible et l'expertise de la revue. Pour un large public le décor est ancré dans un contexte, les ustensiles et couverts sont laissés visibles. Dans des revues spécialisées, l'esthétique est plus travaillée, le décor se fait plus souvent abstrait.
C'est une approche plus artistique et créative de la nourriture. Dans cette perspective, la photographie culinaire est un complément visuel à la recette ayant pour vocation de « réjouir l'œil ». Le lecteur se projette mentalement la recette et cela influe sur son envie de la réaliser. (→ Pour plus d'articles sur le sujet de la photographie culinaire)
L'imagerie culinaire s'est développée jusqu'à prendre une place de plus en plus importante, prenant le pas sur la recette elle-même. Elle montre le pouvoir de la vue en matière d'évocation et d'appétence. Cependant, cette imagerie a pris une telle ampleur que la mise en scène alimentaire prend parfois le pas au profit du regard, mais aux dépens du goût…
1. Spence Charles, Wan Xiaoang, Woods Andy (et al.) « On Tasty Colours and Colourful Tastes ? Assessing, Explaining, and Utilizing Crossmodal Correspondences between Colours and Basic Tastes », 2015 [en ligne, disponible sur :http://www.flavourjournal.com/ content/4/1/23]
2. Au travers de l'histoire du père de la gastronomie, Grimod de la Reynière et du fameux « souper scandaleux », Michel Onfray, La Raison Gourmande, Paris, Grasset & Fasquelle, 1995, p. 58
3. Références photographiques : Assiettes de chefs, Hotel de Paris, Franck Hamel, 2020 Assiettes de chefs, Rollinger, Franck Hamel, 2020 Elle à table, 2020 Gather Journal, 2014, 2015