Alors dans cette optique d'épopée sensorielle, je propose de d'abord porter la réflexion sur le goût lui-même, afin de comprendre la pluralité de ce mot et notre rapport à ce sens.
Le goût est une expérience familière et subjective ; familière puisque nous en faisons l'expérience au quotidien, et subjective puisqu'il s'agit d'une image sensorielle élaborée par notre organisme.
Il est celui de nos cinq sens qui nous donne la faculté de percevoir les saveurs. Aussi, lorsqu'il est associé à l'odorat, et ainsi aux arômes, nous parlons de flaveurs. Comment fonctionne-t-il ?
Il existe des saveurs de base : salé, sucré, amer, gras, acide et umami. Notre langue est composée de 3000 papilles gustatives, qui captent les stimulations de ces saveurs à l'aide de cellules réceptrices, qu'elle retransmettent au cerveau. C'est à travers ce processus que nous ressentons le goût. Mais ce n'est pas la seule étape. Le goût assimile les sensations gustatives et olfactives apportées par les sens chimiques (goût et odorat) ainsi que les sensations trigéminales. Ce sont les sensations thermiques, mécaniques et chimiques, à comprendre, le froid, le brûlant, le piquant, l'astringent et le pétillant. Ces sensations sont stimulées lorsque nous dégustons une glace, un piment, de la moutarde…
Le mot goût ne désigne pas seulement l'un de nos sens physiologiques, il est polysémique. Il peut simplement désigner la saveur elle même, celle d'un met, d'un plat, nous parlerons de goût de. Dans une définition plus subjective et hédonique,le goût pour concerne l'appétence, le plaisir d'un aliment que l'on apprécie.
Que serait notre alimentation sans le goût ? Le goût, que cela soit la saveur ou l'appréciation que l'on en a, influe notre manière de manger. Il stimule ou inhibe le comportement alimentaire en orientant notre choix vers des types de mets; contrôlant plus ou moins inconsciemment notre prise de nourriture. C'est pourquoi il est important d'apprendre à goûter !
Dès 1970 se développe le concept d'éveil sensoriel, et une éducation au goût est mise en place au sein des classes de primaire par Jacques Puisais, président fondateur de l'Institut Français du Goût. Cette éducation est importante autant chez l'enfant que chez l'adulte. Elle permet de se construire, de se familiariser avec les aliments, et par extension de connaître et d'apprécier différentes saveurs. Cela favorise le développement de ses capacités gustatives et la constitution d'une « bibliothèque » de saveurs. Cette mémoire gustative est un élément clé dans l'identi fication du goût : elle permet la reconnaissance d'un met. En développant notre expérience gustative, nous devenons apte à porter un jugement et à prendre nos propres choix culinaires. Pour paraphraser Jacques Puisais, sans reconnaissance, le jugement devient impossible1.
Mais la mémoire gustative n'est pas le seul facteur influant notre perception alimentaire. Les notions affectives et culturelles entrent également en jeu, tout comme les modalités sensorielles de l'aliment (ses qualités organoleptiques, soit l'odeur, l'aspect, la couleur, la consistance, le goût). Ainsi, l’expérience culinaire est vécue différemment d’une personne à une autre. Le goût n’est pas intrinsèque à l’aliment, mais est une représentation mentale qui associe l’histoire, la culture et les cinq sens du goûteur. Percevoir le goût est donc un mélange polysensoriel comprenant les sensations gustatives, olfactives, mais aussi thermiques, visuelles et auditives.
1. Jacques Puisais, Le Goût chez l’enfant, apprentissage en famille, Paris, Flammarion, 1999