La représentation de l'alimentation dans l'art est étroitement liée à l'histoire des hommes : scènes de chasse des peintures rupestres de la pré histoire, scènes de banquets des peintures et mosaïques de l'Antiquité gréco-romaine, premières natures mortes apparues à la fin du IIe siècles après Jésus-Christ chez les romains… À toute époque, les hommes ont gardé une trace de la culture du boire et du manger.
Dans la hiérarchie artistique, la nature morte est pendant longtemps considérée comme un parent pauvre de l'art officiel, un genre mineur de la peinture, au regard de sujets plus importants comme les portraits et les peintures historiques, bibliques ou mythologiques2.
La peinture de Nature Morte, entre désintérêt et succès
La nature morte est un genre très présent dans l'Antiquité, puis elle disparaît au cours du Moyen-âge. Avec la montée du christianisme, les œuvres privilégiées à cette époque étaient principalement religieuses. Les sujets naturels n'étaient pas dignes d'intérêt, ils n'étaient que détails dans un tableau, ou présents pour dépeindre quelque chose de plus grand. Chaque élément était doté d'une symbolique, message allégorique d'un discours moral.XVIe, siècle de la renaissance
La peinture de nature morte renaît au courant du XVIe siècle, en Flandre et en Hollande. À cette période, elle est une description objective du réel et des scènes de vie du quotidien. Les premiers témoignages de nature morte alimentaire sont des scènes de marchés.Reconnaissance de la nature morte au XVIIe siècle
La nature morte prend son essor et se propage en Europe et en France courant XVIIe. L'âge d'or de la nature morte hollandaise valorise les sujets « bas » du monde pictural. Les scènes de genre nature morte gagnent alors en reconnaissance. La nourriture commence à être utilisée comme sujet principal. Les peintres portent leur attention sur les fruits et légumes, qui sont considérés comme des « beautés naturelles ». Il se développe alors deux types de peinture : les fleurs et fruits, et les scènes de repas servis.Reflet des préoccupations du XVIIIe siècle
Les peintures de nature morte se perfectionnent au XVIIIe. L'art s’intéresse alors au savoir-faire illusionniste de l'artiste. Il représente des objets, des tables servies, des fleurs. Les peintures sont plus élaborées, les éléments choisis méticuleusement pour leurs intérêts visuels (texture, forme, couleur…). La composition du tableau, l'arrangement du sujet, ainsi que le message allégorique sont importants. Jean Siméon Chardin, grand peintre français, fait de la nature morte le sujet principal de ses œuvres. La raie fut l'un de ses plus grands succès, une œuvre qui a su gagner l'approbation de l'Académie dès sa création, et captive encore de nos jours les amateurs d'art.XIXe siècle, un doux déclin de la nature morte picturale
Au XIXe siècle la nature morte se fait lieu d'expérimentation formelle des peintres, qui bouleversent les règles de la peinture académique. Mais au début du XXee siècle, elle s'essouffle. Elle finira par disparaître quand la peinture se fera abstraite.XXe siècle, vers une nature morte photographique
En parallèle, la photographie évolue et la couleur est introduite depuis quelques années. Les photographes choisissent des sujets proches de ceux des peintures, et la nature morte photographique gagne en popularité de par l'approche expérimentale qu'elle offre. Elle prend progressivement le pas sur la nature morte picturale, évolution dont nous nous intéresserons au prochain article…1. Snoeck-Ducaju, L'art gourmand, (BNF), 1996, crédit communal.
2. Pour un questionnement sur les hierarchies en art, Roque George (dir), Majeur ou mineur ? Les hiérarchies en art, Nîmes, éditions Jacqueline Chambon, 2000.
3. La nature morte, Gallimard, Stefano Zuffi, textes de Mathilde Battistini, Lucia Impelluso et Stefano Zuffi, 1999, éditions Galimard, 2000 pour l'édition française.
4. Toute la bibliographie du dossier sur L'histoire de la photographie culinaire paraîtra à la fin du tout dernier article.
5. Références photographiques: Nature morte (1630), peinture à l'huile; Pieter Claesz, Art Institute, Chicago
Pompei, Panier de figues, Villa de Poppée à Oplontis (79 avant J. C.)
La marchande de fruits, 1580, Vincenzo Campi, Pinacoteca di Brera, Milan
Nature Morte au Pain et Sucreries, Georg Flegel, Huile sur Bois. Vers 1630-35. Städlsches Kunstinstitut, Franfort
Coupe de cerises avec des prunes et un melon, Louise Moillon, 1633, Musée du Louvre, Paris
Coing, chou, melon et concombre, Cotán Juan Sánchez, peinture à l’huile, 1602, San Diego, San Diego Museum of Art
La brioche, 1763, Jean Siméon Chardin, Musée du Louvre, Paris
La raie, avant 1728, Jean Siméon Chardin, Musée du Louvre, Paris
Luis Egenio Melendez, Nature morte aux prunes, 1760-1770, Musée du Prado
Nature morte avec pêches et poires, Paul Cézanne, vers 1888-1890, Musée Pouchkine
Nature morte aux oranges, Henri Matisse, 1898 - 1899, huile sur toile
Nature morte à la chope, Fernand Léger, 1921